T’es plus ma copine
Publié le 30 mai 2018 et mis à jour le 6 novembre 2018
Paru dans le Ligueur des parents du 30 mai 2018
C’est un classique des cours de récré. Dès que la moindre contrariété pointe le bout de son nez : le sentencieux « T’es plus ma copine/mon copain » est dégainé. Pour généralement se réconcilier deux minutes plus tard. Qu’est-ce qui se passe dans leurs caboches ? Faut-il se projeter avec des codes d’adultes ? On a séparé le sujet en deux périodes : d’abord les petits querelleurs de 6-9 ans, puis les claniques de 9-11 ans. Mettez vos casques, enfilez vos protections : on fonce dans la mêlée sous l’arbitrage de Mireille Pauluis, psychologue.
6-9 ans
« À chaque fois que l’on reçoit des petites copines de ma fille à la maison, c’est la même rengaine. D’abord elles se sautent dans les bras et se font de longues accolades. Puis elles filent jouer, se plongent dans leur univers pendant quelques heures. D’un coup, ça éclate. On a le sentiment qu’elles se détestent. Ça pleure, ça fait des drames et quelques minutes plus tard, elles redeviennent les meilleures amies du monde. Impossible à comprendre… »
► Que faut-il comprendre ?
À la maison, dans la cour de récré, il règne une certaine animosité. Pourquoi ? Les filles sont dans la rivalité. Les garçons dans la compétition, c’est la dynamique œdipienne. Un garçon doit être plus fort pour conquérir maman. Les petites filles, c’est plus complexe. On ne peut pas éliminer maman, elle incarne l’amour inconditionnel. Alors les petites filles mettent en scène cette opposition. Elles la jouent. Elles vont souvent très loin et se font souffrir très très fort. Dans le jeu des petites filles il y a toujours cette dimension de qui est la plus aimée. Et pour le savoir, on procède en éliminant les rivales. Malgré cela, elles en sortent quand même amies et unies. Même après les grandes larmes.
► Comment réagir ?
Ce qui leur fait le plus grand bien, peu importe de quel côté des larmes elles se situent, c’est de les valoriser. Vous pouvez leur dire quelque chose du type « Bon, ça n’allait pas avec Lola ? Et pourquoi ne pas en parler avec Justine ? ». Il existe un procédé qui fonctionne assez bien avec les enfants : les représenter dans la cour de récré par un dessin. Et pourquoi pas de figurer les alliances avec des petits ronds et des petits carrés. Le leadership apparaît très vite. Celle qui est la cheffe autour de laquelle s’orchestrent les disputes. Et d’autres qui sont plus loin, auxquelles on ne pense pas forcément. Mais au final, elles sont très très chouettes. Alors pourquoi ne pas s’en rapprocher ?
« Je suis frappée par la violence des propos entre mon fils et ses copains. Quand je le récupère à la garderie, j’en vois toujours un qui pleure, parce que les autres lui ont dit des horreurs. Comment font-ils pour supporter une telle tension permanente ? »
► Que faut-il comprendre ?
Chez les garçons, ça va jusqu’au coup de poing. Les bosses, les bleus, c’est plus facile à guérir que les coups au cœur, pas vrai ? Les enfants ne perçoivent pas les horreurs qu’ils peuvent dire avec les mots. Un peu comme quand ils sont bébés, que le petit Émile croque les bonnes joues de sa copine Nina. Il la voit pleurer. Il se met à pleurer à son tour parce qu’il est en empathie et il ne réalise pas que c’est lui le fautif. Là, c’est la même chose. La violence des propos, celui qui la profère ne s’en rend pas compte. La souffrance en face, il n’en a aucune idée. On a l’impression de jouer, sans filtre, jusqu’à ce que l’autre n’en puisse plus et se mette à hurler.
► Comment réagir ?
Tout l’enjeu, c’est de faire réaliser à votre enfant que les mots ont des impacts. Comment ? En inversant les rôles. Il existe un super exercice pour ça qui s’appelle le jeu des trois figures. Le principe ? Jouer à l’agresseur, à la victime et au redresseur de torts. Chacun joue la même scène à tour de rôle. Et ça leur permet de passer à un niveau plus important. C’est très intéressant à leur faire faire et c’est un moyen très intéressant de leur faire prendre conscience du mal qu’ils peuvent causer.
« La petite bande de ma fille se définit comme un groupe. Et régulièrement, les ‘chefs’ recrutent ou virent des petits copains à leur guise. Je trouve ça assez inquiétant. Mais ça ne semble pas préoccuper ma fille le moins du monde. »
► Que faut-il comprendre ?
Qu’est-ce qui définit le rôle de chef chez les petits ? Depuis bébé, vous remarquez que tous n’ont pas le même tempérament. Certains sont très accrocheurs. Ils fascinent un peu les autres. Parfois pour des choses futiles. Des chaussures qui font « cla-clac ». C’est le premier ou la première à y avoir droit. Chez les garçons, ça va se jouer sur des performances physiques ou des objets et chez les filles du côté du paraître. C’est souvent la plus grande gueule. C’est souvent une question de mode. À la maison, ils sont mis sur un piédestal ou, à l’inverse, ils doivent se taire. Les autres enfants disent d’eux qu’ils sont populaires, même si le mot star a la cote en ce moment. « Lola, elle fait trop sa star ».
► Comment réagir ?
Là aussi, par rapport à ces histoires de groupe, ce qui peut être intéressant, c’est encore une fois de mettre chacun à la place de l’autre. Ce qui paraît vraiment drôle chez les petits leaders et leurs aspirants l’est beaucoup moins pour ceux qui sont éjectés. Et comment peuvent-ils le savoir si personne ne leur apprend qu’il y a d’autres personnes qui vivent en face d’eux qui elles aussi ont leur propre sensibilité ? Les parents n’y pensent pas toujours, mais c’est une base fondamentale de la vie en collectivité.
9-11 ans
À mesure que le temps passe, les amitiés se consolident. Toutes les petites tensions décrites au préalable s’estompent petit à petit. Bien. Sauf qu’à partir de maintenant, la moindre dispute peut prendre des allures plus… épineuses.
« Je connais les petites copines de ma fille depuis la maternelle, quasiment. Je devrais manquer d’objectivité et les trouver mignonnes. Mais plus ça va, plus je les trouve coriaces. Je n’aime pas le mot, mais ce sont de véritables petites chipies les unes avec les autres. »
► Que faut-il comprendre ?
Finalement, c’est un peu le même genre de jeu, avec d’autres compétences. C’est-à-dire qu’à cet âge-là, la composition intellectuelle change. Du point de vue de l’éducation, ils sont censés avoir développé une empathie réflexive. Soit : « Je lui ai fait du tort, je dois être capable d’en tirer les leçons et d’avancer ». Hélas, ce n’est qu’une question d’éducation. Et si cette capacité d’empathie n’est pas inculquée, ça peut aller loin. Les cours de récré sont toutes fréquentées par quelques enfants manipulateurs qui abîment les petits copains pour avoir une emprise totale sur eux.
► Comment réagir ?
Il est fondamental de développer au maximum cette capacité d’empathie réflexive. Avec des mots simples : « Comment tu vivrais ça, toi ? », « Que pense ton copain à qui tu fais du mal ? ». Hélas, tous les parents ne le font pas. Nous sommes dans une société basée sur la compétition. Les parents préféreront toujours un enfant performant qu’un enfant plus réservé. Pourtant, j’insiste sur les différences et leurs richesses. Tous ont des compétences dans quelque chose. Tous les enfants sont des hauts potentiels dans un domaine.
« Ma fille vient de se fâcher avec sa meilleure amie de toujours. Ce qui l’a conduite à changer radicalement de bande et donc à changer toutes ses habitudes. Ça m’inquiète beaucoup. »
► Que faut-il comprendre ?
C’est un grand classique, principalement chez les filles et encore plus à cet âge-là. En réalité, que se passe-t-il ? Votre fille marque son indépendance. Elle va bien. Elle va juste essayer autre chose. Parce qu’elle se rend compte que les bottes qui font « cla-clac » de la copine Lola, ce n’est pas trop pour elle. Alors, elle marque ses distances. Elle va chercher ailleurs. C’est tout simplement l’esprit critique qui se façonne. « Qui suis-je ? Qu’est ce qui m’intéresse ? ». Parce que oui, il n’y a pas que Lola et son tempérament de meneuse. On peut lui souhaiter mieux, à votre fille, n’est-ce pas ?
► Comment réagir ?
Plutôt que de réagir comme s’il se passait quelque chose d’inquiétant, c’est peut-être intéressant de la conforter dans ses choix. « Je trouve que ça te va bien de marcher avec autre chose que des bottes qui font ‘cla-clac’. C’est bien que tu essaies autre chose que les robes à frou-frou que Lola et ses copines portent tous les jours ». En effet, il y autre chose, il existe d’autres personnes. C’est certainement très bien qu’elle décide de ne pas se laisser enfermer dans une bande. Évidemment, sans charger Lola et ses copines. Parce que votre fille peut toujours revenir à sa bande et décider que tout compte fait, on n’était pas si mal avec Lola et ses bottes qui font « cla-clac ».
« Je sens que mon fils et mes copains prennent un malin plaisir à faire d’un de leurs vieux copains, un véritable bouc émissaire. À tel point que j’ai très peur que ça ne tourne au harcèlement. Je ne comprends pas ce qui les pousse à témoigner autant de négatif à son égard. »
► Que faut-il comprendre ?
Je me rends compte que l’on s’intéresse beaucoup à ce que les bourreaux ont dans la tête, moins aux victimes. N’oublions pas qu’il existe des enfants de l’ombre. Ceux qui trouvent une identité, une complaisance à être la victime. Ils se positionnent ainsi : « Je suis quelqu’un, je compte pour le groupe ». Et bien sûr, ça complexifie ces histoires de harcèlement. Les profs, les parents et autres adultes se demandent comment il peut endurer ça et jusqu’où est-il capable d’accepter les humiliations.
► Comment réagir ?
Il est évidemment capital de sortir un enfant de cette représentation. Il faut coûte que coûte le valoriser, le soutenir. Et bien insister sur le fait qu’il ne doit pas accepter ça. « Maintenant, tu arrêtes de subir. Tu dois refuser de jouer le rôle du souffre-douleur. Tu regardes droit dans les yeux ton prétendu chef et tu lui dis ‘non’. Explique-lui que tu n’es pas d’accord. Ne te laisse pas faire. Tant pis si tu les perds comme copains, ils ont plus besoin de toi que tu n’as besoin d’eux ».
Aux petits chefs, aux harceleurs, il est important de leur parler de tous ces mécanismes. Et pourquoi ne pas prendre l’exemple de personnalités comme Trump ou Hitler ? Expliquer jusqu’où ça va de faire régner la terreur. « Tu voudrais, toi, que l’on t’empêche d’agir ? Que l’on t’empêche d’être toi ? Alors, pourquoi tu le fais subir aux autres ? ». Au fond, toutes ces relations reflètent la fameuse règle du triangle de Karpman. Soit un triangle avec par côté : le persécuteur, la victime, le sauveur. On sauve, on prend alors possession d’un pouvoir. La victime a une dette. Le sauveur exerce alors sur elle une totale soumission et devient à son tour persécuteur. Et ça tourne comme ça tout le temps. Le moteur de tout cela, c’est la culpabilité. Il faut sortir les enfants de là en essayant d’appliquer les 3 R : respect, responsabilité, reconnaissance. Et expliquer à vos enfants qu’ils sont responsables de leurs actes.
Yves-Marie Vilain-Lepage
ZOOM
QUAND EST-CE QUE J’INTERVIENS ?
Pas facile de savoir quand et comment intervenir dans cet imbroglio amical. La règle, selon Mireille Pauluis, est très claire : dès que l’adulte se rend compte que les enfants sortent du jeu, il intervient. Mais le problème, le plus souvent, c’est l’autre enfant. On ne va pas s’amuser à enguirlander les enfants des autres, pas vrai ? Parce que dans notre culture, chacun s’occupe de ses enfants. Là où dans d’autres cultures, c’est la communauté qui est responsable de l’éducation de tous les mômes.
Alors, comment se repérer ? Pourquoi pas en respectant une règle fondamentale : c’est l’adulte en charge du lieu qui fait respecter la sécurité. Tout type de sécurité, aussi bien domestique qu’affective. Si c’est à l’école, ce sont les gardiens ou les profs. Si c’est à la maison, c’est vous, et si c’est chez les copains, ce sont les parents des copains. Facile, non ?